De l’image de l’Universitaire Tunisien

Texte rédigé par le Pr. Nadia Chakroun 

Certains enseignants chercheurs ont dénigré le sit-in des universitaires, qui a duré 63 jours au Ministère de l’enseignement supérieur, en prétendant qu'il donnait une mauvaise image de l'universitaire ! Pourquoi tiennent-ils à envoyer une fausse image idyllique de l'universitaire ? La situation vécue par les universitaires dormant à la belle étoile sous les escaliers du MES, est pourtant bien le résultat d'une politique d'affamement et de clochardisation imposée par la décision du gel de leurs salaires en entier pendant trois mois. Elle traduit la volonté des pouvoirs publics de briser leur grève pacifique et légale en leur coupant les vivres ainsi qu'à leurs enfants, conjoints et parents; elle exprime la volonté aussi de vouloir briser leurs moindres velléités d'aspiration à l'indépendance syndicale et de vouloir annihiler par des manières déloyales leur lutte pour leurs droits légitimes et pour la réforme de leur secteur. Pourquoi ces enseignants dénigreurs ne veulent-il pas reconnaître la situation matérielle en dégradation constante de l'universitaire et le bien fondé de leur lutte pour une université publique qui renaîtrait de ses cendres ? Pourquoi laissent-ils, par leur inaction, leur désintérêt et en cultivant l’illusion que tout va bien dans le meilleur des mondes, se poursuivre davantage la désertification de l'Université publique ? Quels intérêts inavoués ont-ils à le faire ? Font- ils partie de cette infime caste de privilégiés ? Font-ils allégeance à leur hiérarchie ou à toute autre structure et en sont-ils prisonniers ? Quoique il en soit ce sit-in à la martiale aura au contraire prouvé la grande endurance et résistance de l’universitaire qui après tout n’est le plus souvent qu’un fils défavorisé du peuple ! Le sit-in du défi aura développé et renforcé les sentiments d’entraide et de solidarité; il aura fait prendre conscience, justement à cause de ses conditions difficiles vaincues, de l’endurance, de la volonté inébranlable et de la justesse et noblesse de la lutte menée par les universitaires pour défendre l’université publique de la politique en vigueur de désertification et acquérir leurs droits. Une nouvelle cohésion et soudure du corps des enseignants chercheurs a pris forme autour de ce sit-in. Une aventure humaine inédite où une multitude de sentiments se sont télescopés, où la pluralité s’est vécue et où les différences idéologiques, sources de conflits et de peurs, se sont estompées car tous ont appris à se connaître et se respecter et n’avaient finalement en tête qu’un objectif commun : établir une véritable société du savoir à travers la renaissance de l’université publique.

Le mouvement de protestation sans précédent des universitaires a été initié depuis janvier 2018 sous l’égide du syndicat IJABA; il s’est traduit par des diverses actions allant crescendo, du port d’un brassard rouge à des grèves de quelques jours, puis deux grèves administratives. Pendant cette longue lutte, 5 sit-in ont été organisés drainant à chaque fois des milliers d’universitaires et une marche, unique et historique qui a eu lieu le 04 mai 2019 dans les rues de Tunis et a rassemblé plus de 4000 universitaires. La révolution ijabienne des universitaires est par essence une révolution spirituelle qui veut rompre avec un système de gouvernance du passé; il s’agit de l’affrontement entre un monde ancien qui a échoué et qui s'accroche désespérément à des pratiques révolues et un monde nouveau qui réclame sa participation à la reconstruction et présente une autre vision progressiste. L’université publique se désertifie à cause de la fuite de ses cerveaux, de la fermeture des postes de recrutement aux milliers de jeunes diplômés et d’une politique tout azimut de privatisation et de concurrence déloyale de l’enseignement supérieur qui traduisent le désengagement de l’état tunisien de cette université. L’université publique est l’institution qui permet à tous les enfants du peuple tunisien de s’élever dans l’échelle sociale; l’universitaire en tant que partie prenante a le devoir de défendre bec et ongles cet ascenseur social contre tous ses détracteurs. Le syndicat IJABA a déjà remporté une première victoire en forçant la chambre des députés au retrait d’articles permettant à des universités étrangères de s’implanter en totale propriété du capital en Tunisie. Aussi, la première mesure à prendre, dans la restructuration de l’université publique et sa renaissance de la désertification où elle est plongée, serait que l’universitaire retrouve son prestige et sa dignité. Ces derniers ne peuvent être rétablis qu’à travers la réhabilitation de la situation matérielle de l’universitaire qui s’est considérablement dégradée et qui n’est plus en conformité avec sa détention du plus haut diplôme national. La réclamation des universitaires porte sur l’application de l’échelle salariale dans la fonction publique qui établit de droit une échelle des salaires en fonction du diplôme détenu. D’autres revendications sont aussi demandées comme l’ouverture des postes dans toutes les disciplines pour les jeunes docteurs au chômage, l’augmentation du budget actuellement dérisoire de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, la proclamation du nouveau statut des enseignants chercheurs et la participation effective à tout projet de réforme de l’enseignement. Finalement, ce grand et long mouvement de protestation est en cours de construire, pour l’histoire, une autre image de l’enseignant-chercheur. Celle d’un combattant relevant la tête et refusant la politique de résignation et de soumission qui lui a été imposée pendant des décennies ainsi que sa subordination pour la défense de ses droits; celle d’un éclaireur et d’un décideur de la société, celle d’une élite militante désireuse de défendre et réformer corps et âme son secteur et lutter contre toute corruption pour le transmettre prospère et rayonnant aux générations futures populaires.